Le 1er avril 2020, durant la pandémie de COVID-19, l’Association québécoise pour l’équité et l’inclusion au postsecondaire (AQEIPS) a organisé une consultation sur Zoom pour discuter de l’accessibilité des cours à distance durant cette période de crise avec ses membres étudiants en situation de handicap (ÉSH), des membres du corps professoral du postsecondaire, des conseillères et conseillers en services adaptés, des personnes représentantes d’organismes de défense des droits, etc. Trente-six personnes ont participé.
Cette situation imprévue a occasionné plusieurs défis de taille à relever en contexte d’études et d’enseignement postsecondaires. Tous les cours se donnent maintenant à distance, ce qui peut causer des problèmes d’accessibilité pour toutes et tous les étudiants, qu’elles ou ils soient en situation de handicap ou non. L’AQEIPS a donc organisé cet évènement virtuel dans le but d’analyser les défis vécus par la communauté du postsecondaire et pour proposer des pistes de solutions.
Pour commencer, nous avons pris le temps d’échanger avec les personnes participantes sur comment elles et ils se sentent pendant cette crise. Nous avons partagé nos craintes, nos inquiétudes et nos stratégies d’adaptation.
Les défis:
Ce traumatisme collectif que nous vivons engendre des défis, de l’anxiété, et des difficultés à tout le monde pour diverses raisons. En voici quelques-unes que nous avons recensées.
Les défis vécus par toutes et tous :
L’isolement.
La perte de revenu. Même si les enseignantes et enseignants n’ont pas perdu leur emploi, elles et ils ont peut-être des conjoints ou des êtres chers qui ont perdu le leur.
Celles et ceux qui ont des enfants doivent s’occuper d’eux 24 heures sur 24 à la maison, donc il y a moins de temps pour travailler ou étudier.
Certains ont peut-être des êtres chers qui sont malades, ou peut-être elles ou ils le sont eux-mêmes.
Pour certains cours, il était nécessaire d’utiliser des logiciels ou du matériel qui étaient disponibles sur les campus, mais que plusieurs n’ont pas à leur disposition chez eux. Les membres du corps enseignant devront être créatifs pour repenser les évaluations.
Les défis vécus par les personnes étudiantes :
Les étudiants se trouvent pour de multiples raisons, parmi lesquelles le handicap, en situation fragile – parfois cumulée avec d’autres précarités. De multiples situations de marginalisation compliquent les études à distance.
Les étudiant.e.s ont peut-être perdu leur emploi, ou craignent de ne plus pouvoir se trouver un emploi d’été. Ceux et celles qui travaillent dans les services essentiels doivent peut-être faire des heures supplémentaires et ont moins de temps à consacrer à leurs études, ainsi qu’une crainte plus grande d’être exposé.e.s au virus.
Certaines résidences universitaires ont mis les étudiant.e.s dehors au début de la pandémie. Plusieurs, dont notamment les ÉSH, vivront des défis à se reloger, surtout en contexte de crise de logement dans les centres urbains.
Plusieurs ne pourront pas réaliser les stages qui étaient prévus, ou devront tenter de les reporter à plus tard.
Un consensus entre les étudiant.e.s et les enseignant.e.s qui est ressorti de cette réunion est que ça va prendre une grande motivation et beaucoup d’autodiscipline pour suivre des cours à distance, ce que peu d’étudiant.e.s ont en ce moment de crise.
Certain.e.s ont dit qu’en raison de leur handicap c’était déjà difficile de se concentrer en classe avant la crise et que ce l’était devenu encore plus maintenant.
Les étudiant.e.s ont peur de se perdre dans l’organisation, ne savent pas trop comment planifier leur temps à la maison, ressentent une désorganisation psychologique à cause de la pandémie, craignent de ne pas comprendre les cours à distance, de ne pas pouvoir se connecter.
Les défis vécus par les enseignant.e.s :
Les niveaux de confort avec la technologie varient d’une personne à l’autre. Ce n’est pas tout le monde qui a la même aisance à transférer les cours sur des plateformes virtuelles en si peu de temps, et ce ne sont pas toutes les matières qui s’y prêtent facilement.
Tout est arrivé tellement rapidement qu’il n’y a pas eu de temps pour se former sur les nombreux logiciels à utiliser pour modifier ses cours et les mettre en ligne.
Tout le monde est dans l’urgence. Chaque enseignant.e fait du mieux qu’il ou elle peut dans le moment avec ses moyens. Les enseignant.e.s ont tous.tes différents styles d’enseignement. Il y a une adaptation à cette transition qui a dû se faire en vitesse.
Pour ce qui est de rendre les cours accessibles aux ÉSH, ce ne sont pas toutes les plateformes qui sont universellement accessibles. De plus, peu d’enseignant.e.s du postsecondaire connaissent les fondements de la Conception Universelle de l’Apprentissage (CUA), mais c’est une approche qui fonctionne et qui gagnerait à être appliquée aux cours à distance. Les enseignant.e.s du postsecondaire sont des experts de leur matière, mais pas nécessairement des experts en pédagogie. Une conseillère en services adaptés du Collège Dawson nous a dit que beaucoup de professeur.e.s ne connaissaient pas la CUA, mais quand ils et elles l’apprennent, elles et ils trouvent que de l’appliquer peut aider tous.tes les étudiant.e.s. C’est une mesure égalisatrice pour tous.tes et ça ne représente pas des contraintes excessives pour créer des accommodements.
Accessibilité des cours à distance
Nous avons demandé aux étudiant.e.s s’ils et elles avaient déjà suivi des cours à distance et comment ils avaient trouvé l’accessibilité. Plusieurs n’étaient pas satisfait.e.s de leur expérience.
Nous avons demandé si les capsules vidéo des cours dispensés sont accessibles pour tout le monde. Par exemple, est-ce qu’il y a des sous-titres ou des interprètes pour accommoder les étudiant.e.s malentendant.e.s ? Ça ne semble pas être le cas, mais une enseignant.e de cégep dit qu’elle compense en enseignant avec des présentations PowerPoint très détaillées, avec énormément de contenu visuel. Elle présente en donnant le même contenu à l’oral qu’au visuel le plus possible.
Un ancien étudiant membre du Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec (RAAQ) dit qu’il a testé la plateforme « école ouverte ». Son constat est que la plupart des interfaces web et des documents (fichiers PDF, vidéos, etc.) sont pas ou peu accessibles, donc non compatibles avec des logiciels de synthèse vocale. Il faut penser à l’accessibilité sur plusieurs formes. Il souligne que dans un milieu d’étude, si on nous dit d’utiliser une plateforme pour les cours et que cette plateforme n’est pas accessible, c’est très grave. Les cours à distance sont donc moins accessibles que les cours en présentiel pour les étudiant.e.s en situation de handicap visuel.
Il y a de l’inquiétude par rapport à ce qui adviendra des accommodements initialement prévus en compensation du handicap, car les ententes d’évaluation seront sans doute modifiées dans plusieurs cas. Comme toujours, les accommodements sont faits au cas par cas. C’est positif quand c’est pour prendre en compte l’unicité des besoins, mais moins lorsqu’on se rend compte que la différence d’une personne rend ses besoins invisibles.
Un professeur de l’UQAM a dit : « Je modère les ardeurs des profs contre l’illusion qu’il suffit d’improviser une offre numérique pour que les étudiants aient les moyens d’y adhérer et d’apprendre. L’essentiel c’est de maintenir le lien, les relations. De nombreuses études montrent que les cours à distance ont un taux d’abandon très important. On cherche à rendre l’éducation accessible en ligne, mais il faut différencier entre les modes synchrone (en temps réel) et asynchrone (vidéo préenregistrée, par exemple). Il y a aussi des formules hybrides. Parmi tous ces moyens, il y en a qui tendent à augmenter l’accessibilité et d’autres qui la diminuent. Il faut relativiser les choses : il n’y a pas la même urgence à dispenser de l’enseignement qu’à dispenser des soins médicaux. »
On nous a demandé ce qui allait arriver à celles et ceux qui ont droit à des preneurs.euses de notes. Si le cours est enregistré, il peut être écouté plus d’une fois. Mais quoi faire dans le cas d’un.e enseignant.e qui offre son cours seulement en mode synchrone ? Est-ce que l’étudiant.e pourra rejoindre son/a preneur.euse de note d’avant la pandémie pour continuer à recevoir ses notes de cours ?
Est-ce c’est plus ou moins accessible de pouvoir suivre un cours de chez soi selon le type de handicap ? Les personnes à mobilité réduite sont désavantagées par les immeubles de bien des établissements postsecondaires qui sont difficilement ou pas du tout accessibles.
Plusieurs questions sont demeurées sans réponse, mais elles représentent des points sur lesquels il faut se pencher pour rendre les cours accessibles.
Pistes de solutions
Dans l’objectif de favoriser la réussite durant la pandémie et de rendre les cours à distance plus accessibles dans l’immédiat, mais aussi dans l’avenir, nous avons discuté de potentielles pistes de solution. Le consensus parmi les chargé.e.s de cours, enseignant.e.s, professeur.e.s et conseillers.ères était que la meilleure façon de rendre un cours accessible, c’est de demander aux étudiant.e.s ce dont ils et elles ont besoin.
Une conseillère en services adaptés du collège Dawson a dit : « Nous avons des cours en ligne depuis lundi, il y a déjà une situation difficile pour accommoder un étudiant malentendant. Les enseignants n’ont pas de temps de faire de la recherche sur les mesures d’accommodement qui pourraient être disponibles pour améliorer la situation. » Elle a demandé s’il y a quelqu’un qui peut synthétiser l’information pour les enseignant.e.s sur comment rendre les cours accessibles.1
Une enseignante du Collège Montmorency qui travaillait déjà beaucoup en ligne avant la crise dit qu’une solution qu’elle a testée est une rencontre en synchrone pour poser les questions en direct, qu’elle enregistre pour ceux et celles qui ont besoin de la réentendre. Microsoft Teams est selon elle une plateforme accessible facile à utiliser pour ça. Elle affirme que c’est important de maintenir la relation de confiance avec les étudiant.e.s et de les rassurer. Tout le monde a peur en ce moment. Personne ne sait ce qui va se passer. Il y a un désir de revenir à un certain normal, au quotidien. Donc de reprendre des activités académiques ça peut être réconfortant et sain. Mais tout faire comme avant c’est impossible. Il faut faire preuve de flexibilité. D’autres exemples de solutions qu’elle propose : donner plus de temps pour remettre les travaux, s’adapter aux étudiant.e.s qui ont besoin de plus d’interaction ou de moins d’interaction. Donner cinq travaux et prendre les trois meilleurs pour les notes, etc.
Qu’est-ce qu’on fait quand les étudiant.e.s n’ont pas accès à internet ? Cette même enseignante dit qu’il est possible de faire tout le travail pour son cours sur téléphone intelligent si la personne n’a pas d’ordinateur. Si une personne est en quarantaine en région sans réseau : elle peut lui parler au téléphone et remettre ses travaux quand elle aura à nouveau accès à internet. Pour l’instant, il faut faire du mieux qu’on peut dans une situation exceptionnelle. Nous allons apprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas et appliquer nos apprentissages dans l’avenir, lorsqu’on aura plus de temps pour planifier des cours à distance accessibles à tous.tes.
Une conseillère en services adaptés à Baie-Comeau a dit : « On s’est assis ensemble et on a fait un sondage pour demander à nos étudiant.e.s à quelles technologies ils et elles avaient accès et c’était quoi leurs inquiétudes. Nous avons fait part de leurs préoccupations à la direction. Nous avons conseillé par exemple d’intégrer la CUA, qui permet différentes façons de voir les compétences. »
Le professeur de l’UQAM a souligné que trop pousser sur la technologie peut générer de l’inégalité, voire de la discrimination. Il faut être très flexible. Communiquer par téléphone au besoin, par exemple. Il faut que tout le monde sache qu’ils et elles comptent et qu’on ne les abandonne pas. Le besoin de rassurer les étudiant.e.s est revenu souvent.
Les options qui s’offrent aux étudiant.e.s pour terminer leurs cours
Une représentante de l’UEQ a dit : « Nous avons mis une foire aux questions sur notre site internet, on met toutes les réponses du ministère. Position de l’UEQ : que l’étudiant.e puisse choisir l’avenir de sa session (succès/échec ou note réelle, abandon, formation à distance). Pour stages sous agrément : si suspendu, le ministère demande aux partenaires d’assouplir leurs règles pour les stages. » Pour des mises à jour, consultez la page de l’UEQ.
À l’UQAM, les étudiants ont le choix entre la mention succès/échec et une notation traditionnelle complète. Succès/échec c’est intéressant pour les étudiant.e.s qui ont déjà un cumul de notes dans les évaluations du cours suffisant.
Un représentant du CAC-FECQ dit : « Au cégep il y aura des équivalences et incomplets au lieu de succès/échec. Lien d’info : https://www.fecq.org/covid19.html. Cette page contient aussi des informations pour les étudiant.e.s internationaux, étudiant.e.s parents, étudiant.e.s en situation de précarité et ÉSH. »
Il y a aussi des options au collégial pour terminer ses cours dès maintenant sans mention d’échec. La situation avec la COVID-19 permet de demander un incomplet sans justification pour un cours. Ça pourrait permettre un allégement de la charge de travail en cours de session, si nécessaire – loin d’être idéal, mais c’est mieux que rien comme potentielle stratégie de survie. C’est pour un cours seulement, pas la session au complet.
Autre option : obtenir la mention EQ, ce qui n’est pas une note, mais signifie une note de passage. Cela permet de continuer son cheminement académique. Il y aura un calcul double de la Cote R. La meilleure des deux notes sera retenue. Ça peut enlever de la pression.
Conclusion
Cette rencontre virtuelle nous a permis de réitérer que la flexibilité était de mise et qu’il fallait garder en tête que tout le monde est vulnérable en ce moment. Il faut être patients les uns envers les autres.
Nous avons l’intention de refaire cette rencontre à la fin de la crise pour voir où nous sommes rendus, faire état de ce que nous avons appris et ce qui pourrait s’appliquer dans l’avenir pour favoriser l’inclusion et l’accessibilité, que ce soit sur les campus ou en ligne.
Nous allons également partager ce rapport avec toutes les parties prenantes (MÉES, syndicats d’enseignants et conseillers).