L’Aide financière aux études discrimine en fonction du type de handicap

Le programme de prêts et bourses de l’Aide financière aux études (AFE) offre aux étudiants et aux étudiantes québécois les ressources financières nécessaires afin qu’elles et ils puissent poursuivre à temps plein des études postsecondaires1. Jusqu’à tout récemment, tous les étudiantes et les étudiants en situation de handicap (ÉSH) qui désiraient s’inscrire à ce programme pouvaient bénéficier de l’assouplissement de ses conditions d’admission et de mesures d’accommodement établies en fonction de leurs besoins. Toutefois, l’AFE a décidé de limiter l’accès à ces mesures d’accommodement en modifiant le formulaire 1015, Certificat médical — Déficiences fonctionnelles majeures et autres déficiences reconnues. Présentement, les ÉSH ayant un handicap dit émergent, soit un trouble déficitaire de l’attention, un trouble de santé mentale non épisodique, un trouble du spectre de l’autisme, une déficience intellectuelle ou un trouble d’apprentissage ne peuvent plus en bénéficier. Les mesures d’accommodement auxquelles donne accès ce formulaire sont actuellement uniquement destinées aux ÉSH avec des handicaps physiques.

La situation est tout simplement inacceptable, car tous les étudiantes et les étudiants devraient pouvoir accéder équitablement aux programmes de l’AFE. Les mesures d’accommodement constituaient souvent, pour les ÉSH avec des handicaps émergents, le seul moyen d’obtenir les ressources nécessaires afin de poursuivre des études postsecondaires. Les mesures d’accommodement déclenchées par l’envoi du formulaire 1015 permettent aux ÉSH dont le handicap les empêche d’étudier à temps plein d’être admissibles au programme de prêts et bourses pourvu qu’ils ou elles soient inscrits à au moins vingt heures d’enseignement par mois. De plus, l’ÉSH peut, si elle ou il répond à certains critères, recevoir de l’aide financière entre deux périodes d’études couvertes par l’AFE, obtenir une allocation pour les frais liés à ses besoins particuliers, obtenir le statut d’étudiant autonome, voire obtenir sous forme de bourses l’aide financière à laquelle il ou elle a droit2.

Avant qu’il ne soit modifié il y a deux mois environ, le formulaire 1015 comportait la catégorie résiduelle « autres », qui permettait aux ÉSH ayant un handicap émergent de le faire remplir par un ou une médecin. Cependant, la présente version du formulaire ne contient pas de catégorie résiduelle et les médecins peuvent seulement cocher les handicaps physiques énumérés.

La décision de priver certains ÉSH de mesures d’accommodement en raison de leur type de handicap n’est pas conforme à la Charte des droits et libertés de la personne. De plus, cette nouvelle politique va à l’encontre des efforts aux niveaux primaire et secondaire, qui ont permis, depuis une vingtaine d’années, l’inclusion d’une clientèle dite émergente d’ÉSH au niveau postsecondaire. Par exemple, des statistiques récentes de la Fédération des cégeps révèlent que le nombre d’ÉSH est treize fois plus élevé dans les cégeps du Québec en 2018 par rapport à 20073. Ainsi, le refus d’accommoder plusieurs de ces étudiants équivaudrait à une négation des investissements qui ont été mis en place.

La décision discriminatoire de l’AFE affecte principalement cette clientèle émergente d’étudiants et d’étudiantes ayant un handicap invisible. Le message qui en ressort est que ces ÉSH n’ont pas besoin de mesures d’accommodement au même titre que les ÉSH qui ont un handicap physique. Cette croyance est tout simplement erronée et vient anéantir plus de vingt ans de progrès en matière de droit des personnes handicapées. Selon la Charte, les ÉSH ayant un handicap invisible ont droit à des mesures d’accommodement en milieu scolaire. Par exemple, ils et elles demandent souvent un horaire de cours allégé afin de réussir leurs études. Or, depuis la fâcheuse décision de l’AFE, un dilemme s’impose à ces ÉSH : étudier à temps plein pour être admissibles aux prêts et bourses ou étudier à temps partiel, mais renoncer à l’aide financière.

Les ÉSH ayant un handicap invisible ne devraient pas être confrontés à un choix aussi tragique. Certains seront contraints de poursuivre des études à temps plein au risque de compromettre à la fois leur réussite scolaire et leur santé. À l’heure qu’il est, les droits des ÉSH ayant des handicaps invisibles sont toujours précaires et une décision comme celle de l’AFE ne fait qu’alimenter la discrimination systémique envers ces derniers. L’AFE met en péril les études postsecondaires de milliers d’ÉSH afin de limiter le volume de demandes de prêts et bourses. Certes, cela évite à l’AFE des dépenses immédiates, mais, à long terme, la scolarisation et l’inclusion du plus grand nombre d’ÉSH constituent indubitablement un investissement, tant au point de vue individuel que collectif.

Nicolas Labbé-Corbin

Chargé de projet

Association québécoise pour l’équité et l’inclusion au postsecondaire (AQEIPS)

  1. [1] Gouvernement du Québec, « Programme de prêts et bourses » (2018), en ligne : www.afe.gouv.qc.ca [AFE]. ↩︎
  2. [2] AFE, « Déficience fonctionnelle majeure ». ↩︎
  3. [3] Fédération des cégeps, « Baisse du nombre d’étudiants au cégep » (2018), en ligne : www.fedecegeps.qc.ca ↩︎